J’attends devant le palais de justice, un grand bâtiment en verre dont l’ombre lui donne un air sévère, une austérité sculpturale. Attendre est encore une occupation, me dis-je, mais attendre sans savoir ce à quoi cette attente vous entraine, cela est terrible. Il fait beau pourtant, le soleil enveloppe la vallée à peine sortie de l’hiver, les montagnes alentour resplendissent, tandis que la foule envahit les rues commerçantes. Je la vois de loin cette file de bossus automates qui irrigue le sang des rues de la ville.
J’attends mon heure et ce qui est très étrange, c’est que je n’arrive pas vraiment y croire, ni même à m’inquiéter. C’est comme si cette convocation aux prud’hommes n’existait pas réellement, j’ai beau la retourner dans tous les sens, la lire et la relire, cela me parait impossible.
Ça aurait pu être une magnifique journée vous voyez. J’aurais pu aller me promener en montagne, enfouir mon dégout sous la terre, dans les pâturages, oublier cette vie inique qui nous abandonne selon ses caprices, pour un rien, cette existence qui nous fabrique puis nous quitte, nous prend puis nous rejette à notre triste destin.
La justice n’attend pas et fuir ne suffit pas, car on est rattrapé, acculé, même si cela semble une injustice et que l’injustice est un crime.
Lorsque je suis entré dans le palais, le grand hall m’a fait penser à une immense volière. La justice est froide, sa fraicheur inattendue m’a immobilisé sur un banc de mauvaise qualité, sans dossier. De nouveau, il faut attendre son tour, parmi les va et viens incessants. Sur les visages, je peux y lire tantôt le défi, tantôt le désespoir. Il y a aussi le folklore judiciaire, avec la robe des juristes surmontés d’un col blanc (Épitoge), cela rappelle étrangement le monde ecclésiastique, la soutane du religieux.
La plaignante qui avait attaqué mon grand-père, alors que celui-ci s’était toujours efforcé de faire les choses en bonne et due forme et n’avait jamais agi comme un sale type, vient d’arriver. Je l’ai senti au parfum de vieille cocotte dont elle s’était arrosée avant de venir. Maintenant, c’est moi qui me retrouve dans le mauvais rôle puisque mon grand-père est mort quelque temps après l’audience de conciliation, qui n’est rien d’autre qu’un racket afin d’éviter le procès. L’argent justifie toutes les bassesses, toutes les horreurs, toutes les injustices, toutes les manipulations! Même attaquer un viel homme malade est permis !
C’est une épreuve exténuante d’encaisser sa présence sans mot dire, de ne même pas pouvoir fondre sur elle en l’abreuvant d’injures, d’être asservi à ses caprices et à sa cruauté depuis tant d’années!
Il y aurait tant de choses à dire sur cette personne malveillante, chargée de la tenue du ménage et de l’aide à la toilette et à l’habillement de ma grand-mère, malade depuis plusieurs années (Alzheimer). Cet emploi était également assorti de la gratuité complète du logement, de la nourriture et cette personne était d’accord sans la moindre objection sur l’ensemble des propositions. Elle s’était donc installée dans l’une des chambres avec son chien et son rat ! Elle se plaignit du lit alors on lui donna carte blanche pour qu’elle aille elle-même choisir un lit sommier à sa convenance alors que dans le même temps elle disposait naturellement de la salle de bain, des w.c., en plus du libre usage du bureau et de l’ordinateur qu’elle a effectivement utilisé. Outre les pièces d’habitations, elle avait libre accès au jardin. Un jour, elle a même demandé l’autorisation de créer un petit potager, ce qui a été accepté. On lui donnait une entière confiance alors que dans le même temps, elle tenait depuis le premier jour un compte minutieux des nuits qui n’étaient pas des nuits de garde, mais de présence, de sommeil, sans aucune obligation de surveillance, ainsi elle pouvait si elle le désirait partir en soirée. Autrement dit, elle dormait à la maison et n’était tenue à aucun travail. En plus, elle a toujours imposé son rythme d’absences, agissant d’une manière autoritaire sur mon grand-père, vulnérable, subissant ses exigences pour la remplacer et changer ses horaires…
Alors, pourquoi avoir attendu plus de trois ans pour menacer et lancer un procès, à un moment où, qui plus est, mon grand-père était très affaibli et malade? Pourquoi avoir poussé le vice d’être revenu un été pour embrasser mes grands-parents, en leur offrant un joli géranium rose, sans dire un mot de la convocation devant les prud’hommes qu’ils allaient recevoir ? Pourquoi le lendemain de la consultation que mon grand-père avait eu avec son avocat, elle a de nouveau sonné à la porte de la maison, désirant avoir de leurs nouvelles et s’assurer que mon grand-père ne lui en voulait pas ?
Hypocrisie malsaine, cruauté naturelle et vulgaire irrespect dont elle ne s’affranchira pas !
Après une audience au ton incisif et virulent de la partie adversaire, la plaignante a été déboutée, mais a interjeté appel du jugement. Les prud’hommes, il faut bien le dire, c’est un peu comme la roulette russe, un coup tu gagnes, un coup tu perds, et d’une façon ou d’une autre, se sont très souvent les employeurs qui perdent. D’une façon ou d’une autre, il faut payer pour avoir la paix, c’est ainsi avec les pisseurs de lois, d’annexes, de notes, de jurisprudence, de textes. Le droit du travail s’étant complexifié à l'extrême, devenant inintelligible pour les nons-initiés, les prud’hommes ne désemplissent pas, les employeurs particuliers se retrouvent acculés au pied du mur, dans l’obligation de payer.
C’est ce que j’ai dû faire à mon tour pour gagner la paix, payer cette femme pour ne plus la voir et avoir le droit de vivre en paix, même si cela laisse des trâces, forcément.
Moralité: n’embauchez jamais une personne sans passer par les conseils d’un avocat spécialisé en droit social. Il vaut mieux perdre un peu de son argent que perdre sa santé.